L'asymétrie d'information

Sélection adverse et aléa moral

Pour qu’une situation de marché soit qualifiée de concurrence pure et parfaite, plusieurs critères doivent être réunis. Parmi ceux-ci figure la transparence, c’est-à-dire l’existence d’une information circulant parfaitement.

Oui mais…

Mais l’information ne circule pas très bien, même à l’ère d’Internet.

Nous allons expliciter deux situations d’asymétrie d’information : la sélection adverse et l’aléa moral.

 

La sélection adverse (ou antisélection)

Il est fréquent qu’un client ne détienne pas autant d’information que le vendeur.

Prenons le cas d’un particulier qui vend sa maison ou sa voiture à un autre particulier. En général, il connaît mieux l’objet de la vente que l’acheteur et peut passer sous silence certains vices cachés.

Exemple (un peu limite !) : un garagiste avertit le propriétaire d’une voiture que son circuit de carburant contient de la limaille de fer. Celui-ci revend aussitôt son véhicule sans en informer l’acquéreur.

vente de voiture

Bien sûr la sélection adverse ne se limite pas à des situations malhonnêtes. Une entreprise ne peut pas publier une information totale sur ses produits. D’une part, ce serait long et coûteux pour elle et d’autre part, il est normal qu’elle conserve des secrets de fabrication.

Les secteurs de l’assurance et du crédit illustrent souvent la sélection adverse.

Par exemple, il existe des emprunteurs risqués et d’autres qui rembourseront sans problème. Pour développer son activité malgré les ardoises impayées, une société de crédit doit mutualiser les risques, c’est-à-dire proposer des taux d’intérêt relativement élevés aux bons payeurs pour compenser les pertes dues aux clients qui font défaut. Mais attention, si les bons payeurs s’aperçoivent que leurs taux sont trop élevés, ils vont voir ailleurs ! Donc l’établissement de crédit doit détenir des informations sur le profil-type du mauvais payeur, informations bien sûr non connues des clients. Ainsi, il peut soit refuser un dossier de crédit à quelqu’un qui présenterait un profil risqué, soit lui demander des garanties. Cette information qui n’est connue que de la société est issue d’une étude statistique, le scoring.

L’asymétrie d’information concerne aussi la connaissance des règles juridiques. Lorsqu’un contrat est rédigé par une organisation, des juristes ont travaillé longuement dessus. Si ensuite un particulier, non spécialiste du droit, doit le signer ou cliquer en quelques secondes, il est évident qu’une asymétrie d’information existe en faveur du rédacteur du contrat.

Une asymétrie d’information trop forte peut tuer un marché si elle se traduit par une éviction des bons produits par des mauvais et par la fuite de la clientèle.

En France, l’exemple des panneaux solaires vendus aux particuliers dans des conditions douteuses et assortis de crédits prohibitifs est emblématique du début des années 2010. Des milliers de clients se sont endettés pour faire installer des panneaux photovoltaïques et vendre de l’électricité à EDF. L’estimation de leurs recettes futures ne se basaient que sur les allégations d’un vendeur et les pertes ont parfois été très lourdes (remboursements d’emprunt très supérieurs aux ventes d’électricité). Ainsi le marché a souffert de trop nombreux abus, ce qui n’aurait pas été le cas si les acheteurs avaient bénéficié d’une estimation fiable de leurs recettes futures.

Ensuite, pour qu’un marché s’assainisse, il faut soit l’intervention des pouvoirs publics, soit une action concertée des offreurs, soit… du temps !

L’intervention des pouvoirs publics, c’est par exemple l’obligation d’étiquetage sur les produits alimentaires transformés. Le consommateur connaît ainsi la composition du produit puisque la liste des ingrédients figure sur l’emballage, par ordre décroissant. Il connaît aussi le détail de la valeur nutritionnelle. Toutefois, les indications ne sont pas toujours très précises et des fraudes à grande échelle peuvent se produire, les contrôles n’étant pas très fréquents (exemple des lasagnes à la viande de cheval en 2013).

L’action des vendeurs peut être la création de labels, de chartes, la recherche d’appellations ayant une valeur juridique ou, à défaut, la communication. Par exemple, dès 1909, des fromagers se réunirent pour protéger la qualité du camembert en apposant une étiquette qui était la garantie d’une fabrication normande et d’un taux de graisse minimum.

Enfin, si personne ne remet de l’ordre dans un marché perturbé, il faut que celui-ci se régule de lui-même (faillites des producteurs peu scrupuleux, notamment), ce qui prend du temps avant que la confiance revienne.

 

L’aléa moral

Lorsqu’un agent économique sait qu’il ne subira pas les conséquences de ses actes, il peut en abuser ou prendre des risques inconsidérés.

Un assuré sait que ses frais de santé seront remboursés. Il peut multiplier les visites chez le médecin et se faire prescrire quantité de médicaments remboursés par la Sécurité sociale, pas toujours utiles. Ceci fausse le marché du médicament (dont une bonne partie n’est même pas consommée). Précisons au passage que la consommation de médicaments est source d’externalités puisque les molécules chimiques sont évacuées, via les urines, dans les rivières (les stations d’épuration ne peuvent pas tout traiter). La surconsommation médicamenteuse ne peut qu’amplifier le phénomène.

Quant aux prises de risque, elles sont particulièrement variées.

Mentionnons par exemple la pratique du ski hors-piste qui peut entraîner, en cas d’accident, des dépenses très importantes pour la collectivité (frais d’hélicoptère…).

Les coûts du tabagisme sont particulièrement élevés pour la société. Des économistes ont estimé en 2010 qu'ils étaient de l’ordre de 120 milliards d’euros pour la France (net des taxes).

http://www.cnct.fr/combien-ca-coute-77/le-tabac-coute-cher-a-la-societe-1-24.html

Autre pratique, celle des financiers qui peuvent prendre des risques énormes sur les marchés, sans avoir à rembourser de leur poche leurs pertes éventuelles.

 

Rôle des pouvoirs publics

Nous l’avons évoqué, les pouvoirs publics ont un rôle crucial à jouer, sinon dans le mécanisme théorique de la concurrence du moins dans l’application pratique de la circulation d’information.

D’une part les fabricants sont soumis à une réglementation sur l’étiquetage (composition du produit, pays d’origine…) et d’autre part ils peuvent bénéficier de labels porteurs d’informations s’ils remplissent certaines conditions (AOC, bio…), permettant ainsi d’orienter rapidement le choix du consommateur.

Sur le rôle des pouvoirs publics, voir l'internalisation. Sur leurs insuffisances dans ce domaine, voir les défaillances de l'État.