La régulation de l'État

Intervention de la puissance publique dans l'économie

Quelle est la légitimité de l’État à intervenir dans le circuit économique ? Est-ce bien son rôle ? À travers un bref historique, nous verrons que selon les époques sa position s’est déplacée comme un balancier : tantôt dedans, tantôt dehors !

 

Un peu d’Histoire

En Europe, c’est vers la fin du quinzième siècle que l’économie et le pouvoir ont commencé à se transformer.

Premièrement au niveau des idées. À la Renaissance, le bien-être et la consommation ne sont plus condamnable tandis que la Réforme autorise le métier de banquier.

Deuxièmement au niveau géographique. C’est l’époque des grandes découvertes puis du commerce maritime et de la colonisation.

Troisièmement au niveau politique. La notion d’État finit par prévaloir et les impôts sont créés pour financer une armée professionnelle.

Henri 8

C’est ainsi que naît un premier capitalisme. Ni industriel, ni libéral, c’est plutôt un ensemble de règlementations édictées par les marchands et les banquiers. Le salariat se développe. Désormais un entrepreneur se charge de vendre ce que des ouvriers produisent, d’abord chez eux puis, à partir du seizième siècle, dans des manufactures.

Avec l’affaiblissement des pouvoirs locaux au profit d’États forts s’est développé le mercantilisme (jusqu’au milieu du dix-huitième siècle). Cette doctrine prône un rôle de l’État dans l’économie, soit comme pourvoyeur d’or (Espagne), soit en développant des manufactures (France), soit en règlementant le commerce international (Angleterre).

Au siècle des Lumières, l’autorité de l’État fut remise en cause. Parallèlement, les progrès techniques et notamment l’usage de la vapeur ont largement étendu la mécanisation. Cette nouvelle combinaison productive s’est traduite par la naissance d’un capitalisme industriel, d’abord en Angleterre puis dans l’Europe continentale. Le carcan des règlements édictés par les corporations fut aboli pour laisser place à la libre entreprise.

C’est dans ce contexte qu’est née l’école libérale, théorisée par les économistes classiques (Smith, Ricardo, Say…), puis néoclassiques à partir de la fin du dix-neuvième siècle (Walras, Pareto, Friedman...).

 

Le libéralisme

Selon la conception libérale, l’État doit restreindre son activité aux fonctions régaliennes (armée, police, justice). C’est l’État-gendarme, qui intervient très peu dans la sphère économique mais qui garantit la sécurité et le droit de propriété. L’idée qui sous-tend une non-intervention est que la loi de l’offre et de la demande permettrait de parvenir naturellement à un équilibre.

Toutefois, il est indispensable de pourvoir le pays d’infrastructures (routes, voies ferrées, canaux, lignes électriques…). Ainsi les pouvoirs publics donnent nécessairement du travail à certaines entreprises.

 

Les politiques interventionnistes

Au dix-neuvième siècle, en réaction aux abus du capitalisme « sauvage » et à la misère d’une classe ouvrière prisonnière de sa condition, plusieurs courants socialistes sont apparus, réclamant un rôle accru de l’État, seul garant d’une certaine justice sociale.

misère

Par ailleurs, une concurrence sans frein menait à des situations de monopole contraires à l’essence même du libéralisme. Si une seule entreprise produit tel bien ou service, c’est elle qui en fixe le prix et non le libre jeu de la concurrence (au détriment du consommateur). C’est pourquoi la correction des imperfections du marché fait depuis longtemps partie des préoccupations des États, qui se sont dotés d’outils juridiques pour contrôler les positions dominantes et interdire les ententes. Aux États-Unis, la première loi antitrust date de 1890 (voir la page sur les imperfections du marché).

Outre les fonctions régaliennes, de justice sociale et de limitation des imperfections du marché, les États ont élaboré des politiques économiques visant à modérer les défaillances du marché.

La crise de 1929 ayant montré les dangers d’un libéralisme à tout crin, les nations étendirent progressivement leur influence dans le circuit économique. En 1936, J. M. Keynes le théorisa avec sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Comme le suggère le titre de cet ouvrage de référence (peut-être le plus célèbre de tous les livres sur l’économie !), il donna son importance au chômage et au rôle de la monnaie, largement ignorés par l’école classique. Il n’est pas question d’exposer ici la théorie keynésienne (pas davantage que les autres !) mais de préciser que selon Keynes, les mécanismes autorégulateurs sont un mythe. Seul l’État peut éviter ou atténuer les effets désastreux des crises économiques en actionnant quelques leviers : action sur les taux d’intérêt, soutien de l’activité en étendant les infrastructures (politique budgétaire)…

Aujourd’hui, ce rôle est toujours d’actualité. Mais d’autres actions visant à pallier les défaillances du marché se sont ajoutées.

La limitation des externalités négatives, et notamment la pollution, relève des pouvoirs publics. Par exemple, certaines industries présentent des dangers de santé publique qui entraînent des coûts pour d’autres agents économiques. C’est ainsi qu'incitations et règlementation permettent de limiter la consommation de tabac et de produits trop sucrés qui, au-delà des problèmes médicaux, ont des répercussions négatives dans la sphère économique : absentéisme, financement du système de santé…

Enfin, certains biens et services ne peuvent être produits que par la puissance publique. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une défaillance du marché ni même d’une imperfection mais plutôt d’une insuffisance.

 

Les biens collectifs (ou biens publics)

Les biens publics s’opposent aux biens privés. On leur attribue deux caractéristiques.

  1. La non-rivalité : sa consommation par un individu n’empêche personne d’autre d’en profiter. En d’autres termes, quel que soit le nombre d’usagers qui consomment un bien public, son coût reste le même. Au contraire, un bien privé est rival. Si un ménage achète un réfrigérateur, celui-ci n’est pas à la disposition de toute la population.

  2. La non-exclusion : on ne peut pas empêcher quelqu’un d’en profiter sans payer.

Les biens qui remplissent ces deux conditions sont purs. Ceux qui n’en remplissent qu’un seul sont impurs.

Exemples de biens publics purs : l’éclairage urbain, les routes, certains services de l’État (police, justice…) ou même supra nationaux (BCE, FMI…). Elinor Orstrom, prix Nobel d'économie, a montré que certaines informations s'apparentent à ce type de bien. C'est d'ailleurs tout l'intérêt des données ouvertes : non seulement leur utilisation répond aux deux critères ci-dessus mais surtout elle permettent un enrichissement collectif.

Exemple de bien public impur : le service postal obéit au critère de non-rivalité mais pas de non-exclusion puisqu’un courrier non affranchi n’est pas distribué.

Les pouvoirs publics sont garants de la mise à disposition de tous de ces biens, ce qui n'empêche pas de nombreuses défaillances de leur part.

Les entreprises privées n’ont aucun intérêt à produire des biens collectifs, sauf dans une démarche publicitaire ou en se faisant rémunérer par des annonceurs (station de radio privée, par exemple). C’est pourquoi ce sont les pouvoirs publics qui généralement en supportent les coûts. Il existe aussi de nombreuses contributions volontaires d’associations ou de particuliers : un site web gratuit comme celui que vous êtes en train de consulter correspond à la double définition de non-rivalité et de non-exclusion alors qu’il n’est pas financé par l’État (hélas).

Précisons qu’il existe de nombreux biens qui ne sont ni tout à fait publics ni tout à fait privés et qu’il existe souvent une imbrication étroite entre les deux. Une chaîne de télévision payante peut utiliser le canal gratuit de la TNT tout comme une chaîne publique peut être transmise par un câblo-opérateur !

 

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