Généralités sur les espaces vectoriels
Le concept d’espace vectoriel \(\mathbb{R}^n\) est relativement parlant. D’une part on l’appréhende par la géométrie, du moins jusqu’à \(n=3\). D’autre part un n-uplet peut avoir une signification suffisamment concrète pour que l’on en perçoive le sens. Par exemple un marketeur peut définir un consommateur selon quatre critères quantitatifs (revenu disponible, âge, nombre d’habitants de la commune dans laquelle il habite et nombre d’heures consacrées aux loisirs dans l’année). Lorsqu’il réalisera une étude statistique sur un panel, chaque consommateur deviendra… un vecteur de l’espace vectoriel \(\mathbb{R}^4\) !
Mais les propriétés de l’espace \(\mathbb{R}^n\) ne s’appliquent pas qu’aux vecteurs définis par des nombres. La notion d’espace vectoriel est beaucoup plus large et... plus abstraite !
Préalablement à la présentation de ce concept essentiel, rappelons quelques connaissances utiles.
Corps et scalaire
D’abord souvenez-vous de la notion mathématique de corps. Notre objet n’est pas de le disséquer mais juste de rappeler qu’il s’agit d’une structure algébrique dans laquelle on additionne, on multiplie, on soustrait et on divise. Ce peut être l’ensemble des rationnels, des réels, des complexes, mais pas des vecteurs.
Dans ce contexte, l’élément d’un corps \(\mathbb{K}\) est un scalaire, ce qui, étymologiquement, signifie une échelle. Un nombre qui multiplie un vecteur est donc un scalaire. Dans un cadre géométrique, c’est un facteur d’échelle appliqué à une direction. Mais vous avez été prévenu, les applications seront beaucoup plus abstraites que la géométrie...
Espace vectoriel
Un espace vectoriel \(E\) est un ensemble non vide d’éléments (les vecteurs) muni d’une loi de composition interne notée \(+\) (opérations réalisables entre vecteurs) et d’une loi de composition externe notée avec un point. Ci-dessous, nous écrirons les noms de vecteurs sans flèche au-dessus.
- La loi interne est une application de \(E \times E\) dans \(E\) :
- La loi externe fait intervenir un corps \(\mathbb{K}\), par exemple celui des réels ou des nombres complexes. On parle donc d’espace vectoriel sur un corps \(\mathbb{K}\), ou \(\mathbb{K}\)-ev.
C’est une application de \(\mathbb{K} \times E \to E\) dans \(E\) :
\(\mathbb{K} \times E \to E\)
\((\lambda ,u) \mapsto \lambda .u\)
\(E \times E \to E\)
\((u,v) \mapsto u + v\)
Le symbole \(+\) ne représente pas toujours une somme. Ce peut être la composition de fonctions, par exemple (notée \( \circ \)).
Ainsi un \(\mathbb{R}\)-espace vectoriel est défini par un triplet \((E,+,.)\) sur \(\mathbb{R}\) (les scalaires sont alors des réels).
\(\lambda\) est un scalaire et \(u\) un vecteur. Il est d'usage d'écrire \(\lambda u\) (sans le point). Attention à ne jamais écrire \(u\lambda \), ce qui n'a aucun sens.
On dit que l’addition et la multiplication par un scalaire sont stables dans \(E\). Voici les huit axiomes des deux lois de composition sur un espace \(E.\) \(\forall u, v, w \in E\) et \(\forall \lambda, \mu \in \mathbb{R}...\)
- \(u+v = v+u\) (commutativité)
- \(u+(v+w) = (u+v)+w\) (associativité 1)
- \(u + \overrightarrow{0} = u\) (\(\overrightarrow{0}\) est le vecteur nul)
- \((-u) + u = \overrightarrow{0}\) (tout vecteur \(u\) a un opposé \(-u\))
- \(1 . u = u\) (élément neutre)
- \((\lambda + \mu). u = \lambda. u + \mu. u\) (distributivité 1)
- \(\lambda. (u + v) = \lambda. u + \lambda. v\) (distributivité 2)
- \(\lambda. (\mu. u) = (\lambda \times \mu).u\) (associativité 2)
La page \(\mathbb{R}^n\) les détaille. Voyons quelques autres espaces intéressants…
En être… ou pas !
Outre \(\mathbb{R}^n\) et \(\mathbb{C}^n\), les espaces les plus étudiés sont présentés ci-dessous. Les huit propriétés des lois de composition interne et externe ne seront pas démontrées ; nous choisirons juste quelques exemples pour rendre l’exposé moins abstrait. De plus, afin de ne pas alourdir la présentation, nous ne préciserons pas « \(n \in \mathbb{N}\) » à chaque exemple.
1- L’espace des polynômes à une variable sur \(\mathbb{R}\) est noté \(\mathbb{R}\left[ X \right]\).
\(\mathbb{R}[X]\) \(=\) \(\left\{ {{a_0} + {a_1}X + ... + {a_n}{{X^n}}, n \in \mathbb{N}, ({a_0},{a_1},...,{a_n}) \in {\mathbb{R}^n}} \right\}\)
Loi interne : l’addition dans \(\mathbb{R}\left[ X \right]\) est simple à illustrer. Par exemple, soit \(P(x) = {x^2} + 3x - 5\) et \(Q(x) = x + 4\), alors \(P(x) + Q(x) = {x^2} + 4x - 1\), qui est bien le polynôme \(\left( {P + Q} \right)(x)\).
\(P(x)\) admet aussi un symétrique : \( - P(x) = - {x^2} - 3x + 5\).
Attardons-nous sur le polynôme nul. On le note parfois \({0_{R[X]}}\) pour bien le distinguer du réel 0. Ainsi \(P(x) + ( - P(x)) = {0_{R[X]}}\). C’est le polynôme dont tous les coefficients sont nuls. Donc attention, l’ensemble des polynômes de degré \(n\) muni des mêmes lois d’addition et multiplication par un scalaire ne peut constituer un espace vectoriel puisque, pour \(n > 0\), il n’y a pas d’élément nul !
Loi externe : la multiplication par un scalaire ne pose pas de problème. Par exemple, \(2P(x) = 2{x^2} + 6x - 10\).
2- L’espace des suites réelles
Loi interne : la somme de deux suites est aussi une suite. Soit par exemple la suite arithmétique \(\left( {{u_n}} \right)\) de raison 1 avec \({u_0} = 0\) et la suite géométrique \(\left( {{v_n}} \right)\) de raison 2 avec \({v_0} = 1\). Soit \(\left( {{w_n}} \right) = \left( {{u_n}} \right) + \left( {{v_n}} \right)\). Nous avons \({w_1} = 3\), \({w_2} = 6\), \({w_3} = 11\), etc. \(\left( {{w_n}} \right)\) est bien la suite \(\left( {{{(u + v)}_n}} \right)\). Il existe aussi la suite nulle dont tous les termes sont nuls.
Loi externe : multiplions par un scalaire : \(2\left( {{u_n}} \right) = \left\{ {0,2,4,6,...} \right\}\) Nous sommes bien en présence de la suite \(\left( {2{u_n}} \right)\).
L’ensemble des suites réelles est noté \({\mathbb{R}^\mathbb{N}}\) ou \(\mathscr{F}\left( {\mathbb{N},\mathbb{R}} \right)\).
3- L’espace des fonctions numériques
Soit deux fonctions à variable réelle \(f\) et \(g\).
Loi interne : la somme de deux fonctions est bien une fonction. \((f + g):x \mapsto f(x) + g(x)\). Le vecteur nul est la fonction nulle \(x \mapsto 0\). Le symétrique de \(f\) est \(-f\).
Loi externe : de plus, \(\left( {\lambda f} \right)(x) = \lambda f(x)\) avec \(\lambda \in \mathbb{R}\)
L’ensemble des fonctions réelles est noté \({\mathbb{R}^\mathbb{R}}\) ou \(\mathscr{F}\left( {\mathbb{R},\mathbb{R}} \right)\).
Il existe des ensembles moins larges de fonctions munis d’une structure d’espace vectoriel : les fonctions dérivables, les fonctions continues, les fonctions affines (incluant les fonctions linéaires et constantes…
Voir les exercices sur l'espace vectoriel des fonctions.
4- L’espace des matrices de format \((n,p)\) sur \(\mathbb{R}\) est noté \({M_{n,p}}(\mathbb{R})\)
Loi interne : les matrices de même dimension peuvent s’additionner (loi interne). Il existe un élément neutre (la matrice nulle).
Loi externe : la multiplication d’une matrice \(M\) dont les éléments sont \({a_{ij}}\) par un réel \(\lambda\) est bien égale à une matrice \(\lambda M\) dont tous les éléments sont égaux à \(\lambda {a_{ij}}\)
Analyse des données et économie
Pourquoi les espaces vectoriels ont-ils leur place dans un site consacré aux techniques dans l'économie ?
C'est avec cet outil que sont réalisées les analyses des données mais aussi certaines techniques de prévision (processus autorégressifs). Une notion première de statistiques est d'ailleurs celle de vecteur aléatoire, dont les composantes sont des variables aléatoires définies sur un même espace de probabilité.
Un but de la modélisation statistique consiste à établir des règles qui, appliquées à une réalité complexe, permettent d'en obtenir une représentation relativement simple. Mathématiquement, on cherche à passer d'un espace vectoriel dont le nombre de dimensions est élevé à un autre beaucoup plus petit. Les opérations sur les matrices permettent cet exploit, du moins si l'on recourt aux techniques linéaires qui sont les plus courantes et qui ont pour nom régression multiple ou analyses factorielles.
Les systèmes économétriques d’équations à plusieurs inconnues, tout comme les millions d’observations de tickets de caisse, pour ne prendre que ces exemples, bénéficient ainsi des incroyables prouesses du calcul matriciel.