Les stéréotypes et les préjugés

Stéréotypes et discrimination au travail

Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé (A. Einstein).

Stéréotypes, préjugés, discrimination… Ces termes sont proches sans être des synonymes. Ils marquent plutôt les étapes d’un processus. Essayons d’y voir clair. Sans a priori, bien sûr.

 

Catégorisation et stéréotypes

La catégorisation repose sur la création de frontières dans à peu près tous les domaines. Celles-ci nous sont indispensables pour structurer notre pensée et s’appuient sur le vocabulaire, forcément limité, pour la décrire. Par exemple, les scientifiques classent les animaux, les plantes et les minéraux. De même, le fait de cataloguer des groupes d’individus peut être intéressant pour le sociologue ou le responsable du marketing. Les techniques statistiques de classification le permettent. Mais en général, et dans la vie de tous les jours, les catégorisations sont trop marquées et associées à des clichés réducteurs ou stéréotypes.

Le stéréotype est une représentation simpliste de la réalité. Il s’arrête à quelques traits saillants d’une catégorie, ce qui permet d’économiser la réflexion. Même l’observation ne réussit pas à nuancer ce qui relève de la croyance.

Ce terme nous vient de l’imprimerie. Au sens propre, un stéréotype (ou cliché) est une sorte de moule qui sert à imprimer rapidement un même texte ou une illustration sans avoir à le recomposer chaque fois avec des caractères. Il revoie à une production uniforme, homogène, contrairement au texte composé sur mesure par les imprimeurs.

Un stéréotype est généralement culturel. C’est une idée reçue et partagée, et non une représentation acquise par l’expérience. Il s’applique à bon nombre de sujets (météo, animaux…), souvent transmis de génération en génération par d’improbables expressions (gai comme un pinson, fort comme un Turc…). Ces clichés sont parfois complètement faux mais ils entrent trop dans notre cadre de référence pour qu’ils soient altérés par les faits. Exemple : selon une croyance populaire, les autruches mettraient leur tête sous le sable pour ne pas voir le danger. Si c’était le cas, l’espèce aurait disparu depuis longtemps…

Cependant, c’est surtout sur les groupes sociaux que nous collectionnons les stéréotypes (nationalités, groupes religieux, PCS…). Tous les individus d’un même groupe social se voient affublés de caractéristiques communes qui ne laissent aucune place à l’individualité.

Si la plupart des stéréotypes relèvent presque d’une tradition, d’autres apparaissent de nos jours. Ainsi la presse n’est pas la dernière à véhiculer des généralisations sur de nouveaux groupes sociaux (par exemple sur la génération Z).

Le stéréotype peut se traduire par un préjugé (là, ça commence à se gâter !).

 

Préjugés

Un préjugé est une attitude qui découle du stéréotype. Il vise un individu ou un groupe social, voire un objet. Conscient ou inconscient, il s’acquiert durant toutes les étapes de la socialisation.

Ce qui le distingue du stéréotype est le jugement de valeur. Il peut être positif ou, plus souvent, négatif. C’est pourquoi il s’applique surtout aux humains ou à ce qui contient une valeur humaine (telle marque de voiture ne vaut rien, les granules homéopathiques ne servent à rien, etc.). Mais si l’on pense qu’il fait toujours beau temps en Espagne, c’est plus un stéréotype qu’un préjugé.

Il va sans dire que les préjugés négatifs polluent et parfois détruisent la vie des personnes qui en sont les victimes : limites d’accès à l’emploi, au logement, aux prêts bancaires, etc. Par exemple, en milieu professionnel, les stéréotypes de genre influent encore souvent sur les comportements attendus. Les accès différenciés aux postes à responsabilité en sont une illustration évidente, les grandes entreprises dirigées par des femmes étant particulièrement rares.

Les préjugés s’auto-alimentent.

  • Si l’on observe un groupe social sur lequel on a des préjugés, ceux-ci peuvent être renforcés car on ne retient que les faits qui leur sont conformes.

  • Un individu se comporte souvent comme on s’attend à ce qu’il agisse. Supposons qu’un manageur a un préjugé négatif sur l’un de ses collaborateurs, ou un professeur sur l’un de ses élèves. Par exemple en supposant une paresse prétendument liée à une catégorie. Il y a un vrai risque pour que cette paresse se manifeste vraiment ! C’est l’effet Golem. Si le préjugé est positif, le processus s’oriente dans l’autre sens. C’est l’effet Pygmalion.

Les préjugés sont à l’origine d’erreurs de jugement. Ils limitent la communication et alimentent les conflits. Par conséquent, ils s’opposent aux conditions nécessaires pour le bon fonctionnement d’une organisation.

Mais on peut aussi en jouer, par exemple en portant un costume pour paraître plus crédible… De même, la publicité s’appuie énormément sur les préjugés positifs pour que le consommateur associe le produit au jugement qu’il porte à ceux qui en font la promotion.

 

Discrimination

Le préjugé se traduit par une posture de stigmatisation qui se manifeste par un comportement de discrimination.

Stéréotype \(\Rightarrow\) Préjugé \(\Rightarrow\) Stigmatisation \(\Rightarrow\) Discrimination

Nous ne nous étendrons pas sur son côté immoral et même illégal. En France, la loi retient 25 critères possibles de discrimination :

https://www.themis.asso.fr/les-25-criteres-de-discrimination-interdits-par-la-lois/

La discrimination montre toute sa violence dans le monde du travail. Il est rare qu’une personne atteinte dans sa dignité trouve les ressources pour donner le meilleur d’elle-même. Et comme ce comportement s’appuie sur des erreurs de jugement, celles-ci sont répercutées dans les actes : mauvais choix de recrutement, traitement différencié des usagers ou des clients, injustices des promotions, refus de formation, etc.

Bon nombre d’organisations énoncent des règles de déontologie et s’engagent à promouvoir la diversité. Toutefois, au-delà des discours, les statistiques montrent bien qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir.

On peut même parler d’une discrimination dans le traitement de la discrimination ! Si vous recherchez des études sur Internet, vous trouverez beaucoup de liens vers les barrières à l’embauche dues au genre et à l’origine mais très peu sur l’âge… qui reste pourtant le principal critère discriminant en France.

En 1954, le psychologue américain G. H. Allport a publié une échelle des préjugés qui sert encore de référence. En fait, elle est plutôt une mesure des niveaux de discrimination. Elle est conçue pour caractériser une société et non une entreprise mais nous la présentons pour mémoire.

  • Le degré 1 est la discrimination verbale, qui prend souvent la forme de plaisanteries aigres-douces.

  • Le degré 2 est l’évitement et la mise à l’écart. C’est une exclusion sociale qui peut se traduire par des ghettos ou des interdits matrimoniaux mais qui n’apparaît pas dans les textes juridiques.

  • Le degré 3 est celui de la ségrégation et de la discrimination, juridiquement reconnues.

  • Le degré 4 est l’agression physique : pogroms, lynchages, expropriations…

  • Le degré 5 est caractérisé par une extermination de groupe (génocide, élimination d’une communauté religieuse…)

 

Lutte contre les préjugés

On combat les préjugés en démontant les stéréotypes qui les sous-tendent mais ceux-ci sont si bien enracinés que la tâche est quasi insurmontable (Cf. la citation d’Einstein en introduction). La presse a un rôle à jouer mais les mentalités n’évoluent que lentement.

Ainsi malgré de gros progrès depuis la loi de 1987, le taux de chômage des personnes handicapées est encore deux fois supérieur au reste de la population active en général.

https://www.agefiph.fr/espace-presse/tous-les-documents-presse/emploi-et-handicap-retour-sur-35-ans-de-progres-etude

Que peut-on faire au niveau individuel ? Supposons que l’on prévoit un risque de discriminer quelqu’un (par exemple, nous sommes un employeur qui doit recevoir un candidat).

  • Avant, il faut avoir pris conscience qu’il s’agit d’un réel problème non seulement pour le candidat mais aussi potentiellement pour notre entreprise puisque le choix peut être biaisé. Attention à certains facteurs d’alerte comme la fatigue ou le stress qui inhibent nos capacités de jugement et nous orientent vers de confortables stéréotypes.

  • Pendant l’entretien, pensons à l’écoute active, gage d’empathie. Un peu d’introspection sur notre état d’esprit ne fait pas de mal. Précision importante : il faut également veiller à ce que notre interlocuteur sorte lui-aussi des stéréotypes qu’il peut avoir sur lui-même !

  • Ensuite : l’important est de s’appuyer sur des faits et si possible de confronter nos impressions avec un entourage dont les références sont éloignées des nôtres.

Une bonne hygiène intellectuelle consiste à repérer toutes les généralisations que nous faisons dans notre vie quotidienne, même si l’exercice peut prendre des mois ou des années à donner des résultats.

 

Biais d’étude

Le préjugé est l’ennemi de la science.

Selon Durkheim, les faits sociaux doivent être traités comme des choses. Cette approche est fondatrice de la sociologie. Parmi ses nombreuses implications, retenons qu’il est indispensable de se débarrasser de nos préjugés car c’est par l’objectivité des observations et des raisonnements que les sciences humaines peuvent se situer au même niveau d’exigence que les sciences dites « dures ».

Ainsi, lorsqu’il travaille sur des groupes sociaux, un analyste de données doit-il être particulièrement vigilant à toutes les étapes de son travail (universitaire ou pour une entreprise). Quelques écueils :

  • Le préjugé d’échantillonnage : un échantillon par choix raisonné peut montrer une sur-représentation ou une sous-représentation d’une catégorie de la population.

  • Le préjugé de l’observateur (ou biais de l’expérimentateur) : chacun observe certains faits d’une façon qui lui est propre.

  • Le préjugé d’interprétation : nous interprétons certaines ambiguïtés en fonction de nos expériences passées.

  • Le préjugé de confirmation : on a tendance à vouloir valider nos croyances.

 

préjugé sur les blondes