Organisation du travail : rigidité ou souplesse
- Son voisin menuisier recevait autrefois des planches brutes de la scierie, sise parmi la forêt ; après les avoir laissées longtemps sécher, il tirait de ce trésor et selon les commandes tabourets, tables ou portes. Trente ans plus tard, il reçoit d'une usine des fenêtres toutes prêtes qu'il pose dans de grands ensembles aux ouvertures formatées. Il s'ennuie. (Michel Serres, Petite poucette. Le Pommier, 2012)
Organiser le travail, c’est définir le rôle de chaque individu dans le processus de production. Une organisation repose donc sur une DIVISION coordonnée du travail. Le but est d’améliorer la productivité dans l’entreprise ou la collectivité. La productivité est entendue au sens large : il s’agit de l’amélioration d’un ou plusieurs objectifs parmi lesquels produire davantage, plus vite, de façon moins coûteuse ou de meilleure qualité. Mais pas au détriment des autres critères.
L’organigramme est l’outil qui permet à tous les membres d'une organisation de se situer.
La division du travail
La répartition des étapes de fabrication d'un produit en métiers distincts existait bien avant le capitalisme. Mais elle impliquait des artisans qui se coordonnaient plus ou moins empiriquement. Prenons l'exemple de la transformation de la laine brute en vêtement qui nécessitait, à partir du onzième siècle, quelque 25 artisans.
- Lavée dans les eaux d'une rivière (...), la laine est ensuite dispensée dans les demeures des fileuses, puis des tisserands ; l'étoffe fait ensuite d'autres voyages entre les diverses installations, ateliers des teinturiers, des foulons, des tondeurs et tendages... Perte de temps et d'argent : nous voilà loin de la rationalisation moderne ! (F. Mauro et P. Wolf, l'Homme et ses métiers tome 2. Nouvelle librairie de France, 2000).
Une organisation rigide : le taylorisme
Le taylorisme, ou organisation scientifique du travail (OST), est un modèle d’organisation du travail mis en place en 1911 par l’ingénieur américain Frederick Wislow Taylor (1856 – 1915). Sa problématique était de lutter contre la « flânerie » et le gaspillage en se fondant sur une analyse scientifique du processus de production. Le cadre économique était l’essor de la consommation de masse et la deuxième révolution industrielle, celle de l'électricité. Notez que Taylor a perfectionné un système qu'il n'a pas inventé ; au milieu du dix-huitième siècle, l'anglais Josiah Wedgwood avait déjà organisé une division du travail dans son usine de poterie pour permettre une production standardisée.
L’OST est fondée sur cinq principes.
- Le premier d’entre eux est la parcellisation, c’est-à-dire le découpage du processus de production en tâches élémentaires. Historiquement, cette décomposition a accompagné la complexité croissante de la fabrication de produits eux aussi de plus en plus complexes.
- Un autre principe est la spécialisation. La division du travail où chaque salarié ne s’occupe que d’une partie de la production, voire d’une seule tâche élémentaire est dite « horizontale ». La parcellisation s’est donc accompagnée d’une forte spécialisation des collaborateurs mais aussi d’une automatisation spécialisée.
- Le principe suivant est celui du temps imposé. L’OST suppose en effet une mesure systématique des temps passés sur les différentes étapes de la production pour en déduire quelle est la meilleure organisation.
- Un quatrième principe est la division verticale du travail. L’organisation repose sur une séparation de la conception et de l’exécution ainsi que sur le contrôle des exécutants par la présence de chronométreurs et d’agents de maîtrise. D’où la création d’un bureau des méthodes composé d’ingénieurs chargés d’étudier les différentes façons de produire et de retenir la moins coûteuse.
- Le dernier principe est celui de l’individualisation. Le salaire au rendement, déterminé en fonction d’objectifs individuels, doit inciter à produire davantage. Ainsi, non seulement l’entreprise accroît ses profits mais les salariés sont eux aussi mieux payés. Tout le monde y gagne.
Un élément majeur a été la mise en pratique, dans l'industrie, des principes de l’OST qui se sont traduits par une forte diminution des coûts de production (malgré des salaires relativement élevés).
Les critiques adressées au taylorisme sont bien connues : déshumanisation et démotivation.
À partir des années 60, des difficultés surgirent d’une part du fait des salariés, d’autre part en raison de nouvelles attentes des consommateurs. Les jeunes salariés d’alors étaient mieux éduqués et moins dociles que leurs aînés et ne se retrouvèrent pas dans ce mode d’organisation. D’où un accroissement de l’absentéisme, du turnover, des conflits, de la baisse de la qualité… Et le mouvement s'accélère encore de nos jours (voir la gouvernance). Quant aux consommateurs, ils réclamaient des produits de plus en plus originaux et nouveaux. Conséquence, la production ne devait plus être « poussée » (décidée par la direction) mais tirée par la demande. Parallèlement, les métiers devenaient de plus en plus exigeants intellectuellement en raison des progrès technologiques.
Souvent considéré comme dépassé, le taylorisme existe encore de nos jours et pas seulement dans les pays en voie de développement. Il s’est notamment étendu dans le tertiaire : plates-formes téléphoniques avec réponses standardisées, par exemple.
Une organisation plus souple : le toyotisme
Considérant l’obsolescence progressive du modèle taylorien, d’autres types d’organisation, plus souples, ont vu le jour.
Elles se sont accompagnées d’une plus grande polyvalence des salariés, c’est-à-dire d’une capacité à réaliser des tâches diverses (connaissance de plusieurs machines-outils, par exemple). Distinguons la polyvalence horizontale (élargissement des tâches) et la verticale (enrichissement des tâches). L’élargissement des tâches consiste à confier d’autres tâches de même niveau de complexité afin de rendre le travail moins monotone. L’enrichissement des tâches va plus loin puisqu’il suppose davantage de responsabilités et donc de qualification (travaux en amont et en aval de la tâche initiale).
Aujourd’hui, la polyvalence est encore minoritaire chez les salariés.
Le toyotisme est un modèle d’organisation du travail et de production proposé par un ingénieur de Toyota, Taiichi Ono, au début des années 1950. Le principe consiste à planifier la production en fonction de la DEMANDE et à développer diverses formes de flexibilité en se fondant sur le travail en équipe : niveau de production déterminé par le carnet de commandes, juste-à-temps (pour minimiser les stocks), management participatif, sous-traitance, polyvalence, objectifs par équipes…
L’approche est plus globale que le taylorisme. Ainsi, c’est davantage le processus qui doit être efficient que l’ouvrier. L’intérêt est une meilleure productivité, le facteur humain mieux considéré, une diminution des défauts et des invendus… La baisse des coûts de production, très sensible depuis l’avènement du taylorisme, s’est accélérée et a permis à la PME Toyota de devenir un constructeur de tout premier plan. Mais ce modèle a aussi montré ses limites et il n’a jamais été très opérationnel en-dehors du Japon, bien que certains de ses éléments fassent aujourd’hui partie du paysage économique mondial.
Parmi ses limites, il faut convenir que le toyotisme est source de stress. La quasi-absence de stock nécessite une réactivité permanente. De plus, les objectifs collectifs se traduisent par un contrôle du groupe sur l’individu plus pernicieux que ne l’est le contrôle individuel par le chronomètre et, toutes proportions gardées, les objectifs collectifs sont souvent plus élevés que les objectifs individuels. Par ailleurs, si la rotation des postes permet d’améliorer la motivation, elle peut aussi provoquer l’effet inverse lorsqu’elle est trop poussée. En pratique, le toyotisme n’a pas vraiment représenté une avancée sociale par rapport au taylorisme.
La flexibilité
La flexibilité est la possibilité pour une organisation de s’adapter à de nouvelles contraintes. Cette notion est un élément essentiel de l'économie numérique. Comme nous allons le voir, elle est quantitative ou qualitative.
L’un de ses buts est la réactivité. Celle-ci va de pair avec la polyvalence. En effet, la polyvalence est une forme qualitative de la flexibilité.
La flexibilité technique est permise par des machines polyvalentes grâce auxquelles une production peut subir des modifications sans investissement lourd. À cet égard, les imprimantes 3D devraient multiplier cette polyvalence technique dans les années à venir. Les TIC participent aussi à cette flexibilité. Pour faire un parallèle avec un produit de consommation, il suffit d’imaginer tous les appareils réunis aujourd’hui dans un smartphone, objet polyvalent par excellence : téléphone, appareil photo, caméra, ordinateur, lampe de poche, réveil, GPS, etc.
La flexibilité organisationnelle est la facilité avec laquelle l’outil productif peut être transformé. Exemple : les bureaux nomades remplacent petit à petit les bureaux individuels.
La flexibilité interne des ressources humaines inclut des aspects quantitatifs (heures supplémentaires, horaires individualisés…) et qualitatifs (polyvalence, télétravail…). À un horizon de moyen terme, c'est le rôle de la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) d'anticiper l'adaptation des ressources humaines aux besoins de l'entreprise.
La flexibilité externe des ressources humaines suppose le recours aux contrats précaires (intérimaires…) et/ou à la sous-traitance. L'ubérisation consiste à utiliser les services de particuliers via les TIC sans qu'il existe de contrat de travail.
Sur ces deux derniers points, voir aussi la flexibilité des RH.
Évolutions récentes
Internet a permis la réorganisation de certains métiers qui s'affranchissent désormais des contraintes géographiques : télétravail, plateformes en ligne...