Le suivi des conflits collectifs

Grèves et suivi statistique

Dans une entreprise, chaque responsable suit de près quelques indicateurs embêtants, à contenir vaille que vaille dans des limites acceptables : ratio d’endettement, taux de rebut, impayés… Le directeur des ressources humaines mesure lui aussi des symptômes de dysfonctionnements. Un suivi constant des conflits lui permet ainsi d’établir un « bilan de santé » du personnel et de sa motivation. Pour cela, quels indicateurs faut-il mettre en place ?

Rappelons une évidence : un mouvement social ne tombe pas comme un cheveu sur la soupe. Le principal intérêt des statistiques n’est pas de les contempler a posteriori dans le tableau de bord social (TBS) mais de mettre les grèves en regard de signes avant-coureurs (nombre de pétitions, de tracts, d’interventions des délégués du personnel, etc.) ; ainsi, les indicateurs que nous verrons ci-dessous peuvent constituer, pour une période \(t,\) des variables à expliquer par régression multiple. Quant aux divers indices de malaise observés en \(t - 1,\) ils constituent des variables explicatives toutes désignées.

 

Définitions

  • La grève : il s’agit d’un mouvement collectif de protestation, de revendication ou de soutien qui se traduit par un arrêt de travail (comme chacun le sait, l'applique et/ou en fait les frais...). En principe, le but est d’exercer une pression sur une direction ou sur les pouvoirs publics. La grève est dite tournante lorsque les salariés se relayent pour faire grève tout en maintenant une activité réduite.

grève

  • Le débrayage : les salariés quittent leur poste de travail, éventuellement pour une période très courte de quelques minutes…

  • La grève du zèle : une application trop minutieuse du travail conduit à une productivité quasi nulle. Ne pas confondre avec la grève perlée qui se traduit par un ralentissement de l’activité (les deux sont interdites en France).

 

Les outils de mesure

  • Le taux de grévistes (ou taux de concentration conflictuelle) :

\(\displaystyle{\frac{\rm{nb\;de\;grévistes}}{\rm{nb\;salariés\;théoriquem^t\;présents}}}\)

  • L’intensité du conflit :

\(\displaystyle{\frac{\rm{nb\;de\;jours\;perdus}}{\rm{nombre\;de\;grévistes}}}\)

Notez qu'il est souvent plus pertinent de mesurer les heures perdues.

  • Le taux de propension à la grève :

\(\displaystyle{\frac{\rm{nb\;de\;jours\;perdus}}{\rm{nb\;salariés\;théoriquem^t\;présents}}}\)

Donc, taux de propension = taux de concentration × intensité. On utilise ici un principe par ailleurs fort utilisé en analyse financière, celui de la décomposition d’un ratio : en l’occurrence, il est intéressant de savoir si un taux de propension est dû à une grève très suivie par peu de salariés ou longue mais peu mobilisatrice.

 

Le tableau de bord

Selon J.-Y. Le Louarn (Les tableaux de bord Ressources Humaines, Liaisons 2008), le suivi des mouvements sociaux constitue, avec l’absentéisme, le turnover et les accidents, le tableau de bord des comportements, lui-même sous-partie du tableau de bord des résultats RH.

Voyons à quoi pourrait ressembler la partie « conflits collectifs » d’un tableau de bord RH. Il s’agira d’un état global déclinable, par tout SIRH qui se respecte, en lieux géographiques, niveaux hiérarchiques, directions, etc.

Le nombre de grèves dans l’année n’est pas un indicateur très pertinent et le nombre de jours de grève reste lui aussi approximatif s’il n’est pas modulé par le nombre de grévistes, c’est pourquoi on indique plutôt les ratios vus ci-dessus. C’est surtout pour la gestion des conflits que la durée moyenne d’une grève se révèle un indicateur intéressant. On peut ou non exclure les mouvements d'ordre national dans le TBS.

Un suivi annuel du nombre de journées de travail perdues pour cause de grève constitue au contraire un indicateur précis, utilisable de façon statistique. On différencie si possible les grèves qui obéissent à un mot d’ordre national de celles qui sont propres à l’entreprise. Ce type d'information peut d'ailleurs figurer dans la partie relations professionnelles du bilan social. Exemple :

grèves exogènes ou endogènes

Ces mêmes chiffres peuvent être décomposés par motif mais l’exercice reste souvent périlleux en raison des mobiles multiples (et qui par-dessus le marché ne reflètent peut-être pas les causes réelles du malaise) :

grèves par motifs

Note : en cas de forte variation d’effectif, il est plus sage de raisonner en pourcentages de journées normalement travaillées dans l’année…

Après les valeurs absolues et les ratios, le tableau de bord indique les coûts.

Le coût de la grève doit être estimé, surtout si la période du mouvement social n’est pas neutre. L’impact d’une grève dans le secteur des trains ou des autoroutes est plus fort en période de départs en vacances, c’est évident…

L’estimation de ce coût nécessite une analyse assez fine de la saisonnalité (au sens large). Une fois estimé un coût moyen journalier, on peut le moduler par exemple à l’aide d’un tableau de Buys-Ballot. Comme c’est souvent le cas lorsqu’on souhaite chiffrer une contribution unitaire à un résultat, on considère faute de mieux que chacun y contribue de façon égale.

Exemple. Soit une entreprise de services. Supposons que le ratio \(\displaystyle{\frac{\rm{valeur\;ajoutée}}{\rm{nb\;jours\;travaillés\,annuel}}}\) s’établisse à 100. C’est-à-dire que chaque jour ouvré, tout salarié apporte en moyenne 100 à son entreprise. Ô malheur, 80 salariés suivent une grève pendant deux jours. Donc, la valeur ajoutée (VA) s’établira à 16 000 de moins que prévu (note : il est logique de ne disposer que de la VA de l’année précédente. D’éventuels calculs définitifs ne seront donc établis que l’année suivante).

Supposons à présent que l’entreprise dispose de statistiques hebdomadaires d’activité sur plusieurs années. Chaque semaine peut être affectée d’un coefficient. Le total de ces coefficients est donc de 52. Admettons que la grève s’est déroulée au cours de la semaine 25 dont le coefficient observé s’établit à 1,2. Le déficit de VA provisoire est donc de 19 200.

Pour éviter un casse-tête monumental, faisons l’impasse sur le déficit d’image de l’entreprise et sur le temps passé à la DRH pour gérer le problème. On impute toutefois des coûts directs à la résolution du conflit (location de salle pour la réunion paritaire et remboursement de frais de transport des délégués syndicaux). Soit 500.

Enfin, les grévistes ne sont pas payés pendant la durée du mouvement. Le montant de cette économie n’est pas une évaluation mais elle est fournie le mois suivant par le SIRH (Système d’Information RH). Mettons 5 200.

Coût du conflit : \(19\,200 + 500 - 5\,200\) \(=\) \(14\,500.\)

 

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