L'intérêt dans la pensée économique

Rejet et explications de l'intérêt

Cette page introduit la notion d’intérêt. Elle peut être considérée comme une ressource détaillée pour élèves de première générale. Les calculs et la liste des taux existants ne sont pas abordés ici (il existe sur ce site des pages de mathématiques financières). En revanche, vous découvrirez comment l’intérêt a été rejeté puis expliqué au cours de l’Histoire.

 

Le principe

Lorsqu’un débiteur emprunte de l’argent à son créancier, il lui rembourse une somme supérieure à celle qu’il a empruntée. C’est l’intérêt, qui est la rémunération du prêteur et le prix à payer pour l’emprunteur.

Comme son montant dépend de l’emprunt, il s’exprime en taux, le plus souvent annuel. C’est un pourcentage de la somme prêtée.

Le taux dépend du type de crédit, de sa durée, du risque de défaillance de l’emprunteur, de la politique monétaire, de l’inflation, des garanties apportées et de quelques autres facteurs.

 

Évolution

Le prêt à intérêt, autrefois appelé usure, a été condamné depuis l’Antiquité. Déjà dans la Grèce d’Aristote, le principe de rembourser une somme supérieure à celle empruntée était considérée comme immoral. Le prêt pouvait être une preuve d’amitié, mais sans majoration.

Grecs

Au Moyen Âge, les Chrétiens eurent une lecture de la Bible un peu différente de celle des Juifs. Ceux-ci estimaient que le prêt à intérêt à des étrangers n’était pas une faute et que s’il était destiné à subvenir aux besoins des pauvres, ce n’était pas non plus très grave. Les Chrétiens, à la suite de Saint Thomas d’Aquin, considéraient comme les Grecs que l’argent ne pouvait engendrer l’argent. De plus, l’usure était une façon de faire payer le temps qui n’appartiendrait qu’à Dieu. C’est pourquoi en Occident les Juifs avaient le droit de prêter avec intérêt aux Chrétiens, d’autant qu’il leur était interdit de posséder des terres et d’exercer de nombreux métiers. Chacun y trouvait son compte.

Progressivement, la notion d’intérêt fit son chemin. Alors que l’usure était toujours prohibée mais que l’emprunt devenait de plus en plus indispensable au commerce, on admit qu’un prêt s’accompagnait parfois de quelques désagréments :

  • On peut se priver d’une affaire parce qu’on a prêté des fonds qui nous auraient été nécessaires.

  • On peut perdre de l’argent parce qu’on en a prêté (par exemple en cas d’inflation).

  • On court le risque de ne pas être remboursé.

Il n’était pas considéré comme immoral de recevoir des indemnités en échange de ces risques. Ce sont elles que l’on appela intérêt. Joli tour de passe-passe.

En 1787, le philosophe et économiste anglais Jeremy Bentham se déclara favorable à l’intérêt du moment que le prêt est contracté librement.

 

Le dix-neuvième siècle

En 1836, l’économiste classique Nassau William Senior émit une théorie selon laquelle l’intérêt n’est qu’une juste contrepartie pour le capitaliste qui se sépare de son épargne. Explication tirée par les cheveux et souvent contredite, notamment par Eugen von Böhm-Bawerk, économiste et ministre des Finances austro-hongrois : le fait de prêter de l’argent est rarement lié à une quelconque privation !

Cette théorie fut également combattue par Karl Marx : si le capitaliste peut épargner et prêter avec intérêt, c’est parce qu’il s’est dégagé un profit en exploitant les travailleurs.

Là où tout le monde semble d’accord, c’est sur la dépréciation du futur : on préfère acquérir un bien aujourd’hui que dans un an. Donc, on préfère aussi recevoir une somme d’argent immédiatement plutôt que dans un avenir plus ou moins lointain. C’est pourquoi il est normal d’équilibrer l’échange : pour obtenir un capital aujourd’hui, l’emprunteur consent à le rembourser plus tard avec une majoration. C’est l’intérêt.

Böhm-Bawerk donna trois explications à la dépréciation du futur.

  • Psychologiquement, il est plus satisfaisant de jouir d’un bien tout de suite que dans un avenir incertain.

  • Un bien obtenu aujourd’hui pourra aussi satisfaire un besoin futur alors que la réciproque est fausse : s’il est acquis dans l’avenir, il ne peut pas satisfaire ce besoin aujourd’hui.

  • La dernière raison concerne les investissements. Plus on acquiert un capital tôt, plus longtemps il produira.

Cette théorie se retrouve dans le bon sens populaire : un tient vaut mieux que deux tu l’auras.

 

Le vingtième siècle

La théorie classique explique l’intérêt par la rareté du capital. En d’autres termes, c’est le prix sur lequel échangent les offreurs (pour simplifier : les épargnants) et les demandeurs (pour simplifier : les investisseurs) sur le marché des capitaux. À l’instar du marché d’un bien, il existe une courbe d’offre croissante et une courbe de demande décroissante.

offre et demande

Le taux d’intérêt apparaît en ordonnée. Il est déterminé par le point d’équilibre entre l’offre et la demande.

De même qu’il existe de très nombreux marchés de biens, il existe une multiplicité de types de capitaux (publics ou privés, à court ou long terme, etc.).

Cette théorie a été contredite par le Suédois Knut Wicksell. Selon lui, la monnaie n’est pas un bien comme un autre puisqu’elle est créée par les banques lorsqu’elles accordent un crédit. En fait, il considère d’une part un taux d’intérêt naturel d’une économie sans monnaie, donc théorique, qui serait égal à la productivité du capital et d’autre part un taux monétaire. Celui-ci est le taux du marché et son niveau dépend des banques. Ce n’est plus le prix du capital mais celui de la monnaie.

Ce fut aussi le constat de Keynes, qui poussa l’analyse plus loin. Un prêteur ne renonce à rien d’autre que de détenir des liquidités, c’est-à-dire d’avoir la possibilité de dépenser son argent à tout moment comme il l’entend.

Il est impossible de résumer la théorie générale de Keynes en quelques mots. Retenons que ce n’est plus le niveau d’épargne qui détermine le taux d’intérêt mais l’inverse. Plus les taux sont élevés, plus on est tenté de placer son argent.

Mais alors, qu’est-ce qui détermine le taux d’intérêt ? C’est le prix d’équilibre entre l’offre et la demande de monnaie.

L’offre est supposée stable. Elle est décidée, directement ou non, par la banque centrale. C’est une hypothèse très discutable mais nous nous en tiendrons là.

Selon Keynes, la demande de monnaie des agents non financiers (ménages, entreprises, collectivités…) dépend du revenu. Comme le montre la figure ci-dessous, plus la quantité de monnaie est élevée et le taux d'intéret bas, plus la demande est faible.

offre et demande

La théorie de Keynes a été largement complétée depuis 1936 ! On considère aujourd’hui que le taux d’intérêt est le prix de l’usage des fonds prêtables.

  • L’offre de ces fonds est constituée de l’épargne, de la déthésaurisation et des prêts bancaires nets.

  • La demande est constituée d’emprunts pour consommer, investir, entretenir le capital et thésauriser (par exemple, on emprunte pour acheter de l’or).

 

demande de monnaie