Un exemple de socialisation différenciée

Trame d'une analyse sur le genre dans les études

Une rareté dans ce site web : un entraînement à l’analyse de tableau statistique en SES (en l’occurrence, en sociologie). Attention, il ne s’agit pas d’un entraînement aux commentaires. Nous détaillerons les étapes d’une analyse, sans plus.

La socialisation différenciée montre les limites de notre liberté individuelle. Dès l’enfance, nous sommes plus ou moins conditionnés, selon le genre ou le milieu social. Bien sûr, il y a toujours des exceptions, inévitables dès que l’on s’intéresse à l’humain (à l’exemple de la médecine ou de la psychologie, par exemple) mais globalement, les statistiques montrent très bien les effets des stéréotypes et des codes sociaux.

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Comme l’Éducation nationale semble accorder une importance toute particulière au sujet, il nous a paru amusant de confronter la répartition par genre du corps enseignant (de la sixième aux BTS) selon les disciplines enseignées avec les voies choisies par leurs élèves.

 

Les enseignants

Le tableau ci-dessous est un extrait du bilan social de l’Éducation nationale 2017-2018, disponible sur le web. Pour une simple raison de lisibilité, seul le secteur public a été repris (la prise en compte du secteur privé n’aurait pas changé grand-chose à l’analyse).

Répartition des enseignants en charge d’élèves à l’année dans le second degré par groupe de disciplines en 2017-2018

bilan social

Comment analyser un tel tableau ?

Un travail préalable consiste à lire le titre, à repérer les unités (ici, des effectifs en nombre de personnes et des pourcentages), la source, les intitulés… L’ossature du tableau permet de bien situer le cadre de l’analyse. Sur la démarche générale, voir la page sur les tableaux statistiques.

Ensuite, passons aux chiffres, à commencer par les totaux. La proportion des femmes dans l’enseignement secondaire est de \(57,8\%.\) D’une part on peut en déduire que le corps enseignant est plutôt féminin et d’autre part les pourcentages par matières devront être comparés à ce taux-ci et non à \(50\%\) pour considérer qu’une discipline est plus ou moins féminisée.

Après le total, intéressons-nous aux sous-totaux. Il y en a trois. En effet, on élimine l’enseignement non spécialisé, peu représenté (avant-dernière ligne), car il est nécessaire de ne pas s’attarder sur des données peu significatives.

Les grands domaines sont d’une part les disciplines générales et les services, très féminisés, et d’autre part le domaine de la production où les hommes représentent \(72\%\) du corps enseignant.

Ensuite, on constate que dans chacun de ces grands domaines il existe des disparités criantes.

Il est alors judicieux de regrouper certaines disciplines voisines si les taux de féminisation sont proches eux aussi.

Par exemple dans les disciplines générales on observe que les matières littéraires (lettres et langues) sont très féminisées. La population de professeurs de philosophie est au contraire très masculine (mais la philosophie est-elle vraiment une matière littéraire ?). À l’inverse, les disciplines scientifiques sont davantage enseignées par des hommes (SVT exceptée), ainsi que l’EPS. D’autres disciplines sont plutôt équilibrées (SES, histoire-géo, éducation musicale…).

Le domaine de la production, ultra masculin, comporte aussi une discipline extrêmement féminisée : biotechnologie – santé – environnement – génie biologique. Un autre domaine dans lequel le taux de féminisation est élevé est un ensemble de disciplines proches de la biologie. On peut mettre cette observation en rapport avec une matière générale (SVT). Pour résumer, c’est dans le domaine du vivant que les femmes se distinguent. On remarque aussi une forte présence féminine dans les arts appliqués, à mettre en rapport avec les arts plastiques (discipline générale), eux aussi très féminisés.

Les lettres, l’art et le vivant. Le domaine des services va-t-il confirmer la forte féminisation dans ces trois domaines ?

Pour l’art la réponse est non (peu de femmes dans les industries graphiques et métiers d’art) mais il faut nuancer : le faible nombre d’enseignants ne remet pas en cause notre observation précédente. Pour le vivant, un grand oui : dans le paramédical et social, neuf enseignants sur dix sont des enseignantes. Pas de matière littéraire à observer ici.

Nous avons donc dégagé de grandes lignes. On pourrait aller plus loin avec davantage de données. En effet, ce tableau fournit des pistes sans apporter de réponse. Par exemple les sciences économiques et de gestion sont équilibrées mais plutôt masculines en études générales alors qu’elles sont très féminisées dans l’enseignement technologique (cela serait apparu plus nettement si nous avions intégré l’enseignement privé).

Par opposition, les disciplines majoritairement enseignées par des hommes relèvent des domaines technologiques, scientifiques et sportifs.

 

Les élèves

Résultats du baccalauréat 2019 selon la voie, la série, le secteur et le sexe (extrait). Source : MENJ-DEPP, note 20.10, mars 2020.

stats du bac

Globalement, la répartition est équilibrée puisque les élèves qui ont passé le bac en 2019 étaient des filles à \(50,7\%.\) En revanche, la répartition entre bacs généraux, technologiques et professionnels montrent des déséquilibres.

La forte proportion de filles en filière générale s’explique en partie par le fort attrait de la série littéraire (L). Cette observation recoupe une corrélation déjà observée chez les enseignants. De même on note l’attrait des garçons pour la filière scientifique (S), à l’instar des enseignants. Seule la filière économique (ES) montre une différence sensible du taux de féminisation entre élèves et professeurs.

Les bacs technologiques montrent aussi une reproduction du genre dans les disciplines avec une écrasante majorité de filles dans les filières ST2S (Sciences et technologies de la santé et du social) et STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliqués) et un quasi-monopole masculin de la filière STI2D (sciences et technologies de l’industrie et du développement durable).

Les bacs professionnels de production montrent aussi une surreprésentation masculine. Quant aux filières professionnelles des services, elles sont trop diverses pour en tirer un enseignement (le tableau n’est pas suffisamment détaillé).

 

Conclusion

Les bacheliers de 2018 reproduisent très bien le schéma que l’on observe chez leurs aînés.

Note : ces tableaux peuvent nous interpeller sur d’autres problématiques (hors sujet) que l’on peut brièvement évoquer avec doigté. Par exemple, le cas de l’économie-gestion est singulier : les filles sont très représentées en filière générale (ES) et moyennement en filière technologique (STMG) alors que c’est l’inverse chez les enseignantes.

 

masculinité