Le commerce entre pays comparables

Différenciation, qualité, DIPP

Depuis Ricardo, le commerce international est souvent perçu comme un échange entre pays dotés de ressources ou d’avantages comparatifs distincts. Mais quittons quelques instants la théorie pour regarder ce qui se passe autour de nous.

Une part significative des échanges mondiaux a lieu entre pays ayant des niveaux similaires de développement économique, des dotations factorielles proches et souvent des structures industrielles peu différentes.

Mais alors pourquoi ?

Ci-dessous, nous étudierons plus particulièrement les échanges entre les pays économiquement développés.

 

Différenciation des produits

Une première raison est la différenciation des produits.

Le commerce traditionnel est basé sur les avantages comparatifs (modèles de Ricardo et Heckscher-Ohlin). Il se traduit par la spécialisation.

En revanche, la différenciation des produits repose sur les préférences des consommateurs.

Le commerce intra-branche se définit comme des échanges de produits différenciés mais au sein d’une même industrie. Par exemple, deux pays peuvent exporter et importer des voitures, mais leurs types (citadines, SUV, voitures de luxe…) varient en fonction des consommateurs et des fabricants de ces pays.

voiture

La différenciation des produits permet aux entreprises de se spécialiser dans des segments spécifiques et de satisfaire une demande mondiale diversifiée. Par exemple, les montres suisses se distinguent par leur précision et leur design haut de gamme, alors que les montres japonaises offrent une technologie avancée à des prix plus abordables.

Dans les industries où les économies d’échelle jouent un rôle important, les entreprises peuvent produire à moindre coût en atteignant une taille critique sur le marché mondial. Les pays comparables, souvent équipés de technologies similaires et de main-d’œuvre qualifiée, deviennent alors des partenaires naturels pour ce type d’échange.

 

Qualité des produits

Un autre facteur clé du commerce entre pays comparables est la qualité des produits. Ce concept renvoie à des caractéristiques telles que la durabilité, l’innovation ou encore la notoriété d’une marque.

  • Compétition par la qualité : dans les économies avancées, les consommateurs sont souvent prêts à payer plus cher pour des produits de meilleure qualité. Cela pousse les entreprises à se concentrer sur la production de biens innovants et à forte valeur ajoutée. Par exemple, les produits technologiques fabriqués en Corée du Sud (comme les smartphones ou écrans OLED) sont reconnus pour leur qualité supérieure.

  • Les pays comparables partagent souvent des normes et standards élevés, facilitant ainsi le commerce de produits sophistiqués. Par exemple, les constructeurs automobiles européens conçoivent leurs véhicules pour répondre à des normes environnementales strictes, ce qui leur permet de cibler des marchés similaires.

  • Effet de signal : un produit de haute qualité peut aussi servir de signal pour l’ensemble de l’économie d’un pays. Les marques allemandes comme BMW ou Siemens incarnent un savoir-faire industriel qui attire des consommateurs internationaux vers les produits allemands.

 

Fragmentation de la chaîne de valeur

La fragmentation internationale de la chaîne de valeur, ou DIPP (division internationale des processus productifs), consiste à décomposer un processus de production en différentes étapes, chacune étant réalisée dans le pays où les facteurs de production (travail, capital, ressources naturelles) sont les plus compétitifs. Il s'agit d'un phénomène essentiel de la mondialisation, qui a profondément transformé les échanges internationaux et l'organisation de la production.

Le mécanisme est le suivant :

  • Spécialisation des tâches : les entreprises multinationales décomposent leurs processus de production en fonction de zones géographiques qui ne doivent rien au hasard. Chaque pays se concentre sur les étapes pour lesquelles il dispose d'un avantage comparatif, qu'il soit lié à la disponibilité de ressources naturelles, à un bas coût de main-d'œuvre, à un savoir-faire particulier ou à des réglementations favorables.

    On observe ainsi une division verticale du travail. Mais la fragmentation est aussi horizontale. Ainsi, la conception de produits complexes, comme les avions, implique une collaboration entre plusieurs pays disposant de capacités technologiques avancées (exemple : Airbus, avec des pièces fabriquées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni).

  • Réseaux d’approvisionnement internationaux : ils sont souvent établis entre pays comparables, ayant des infrastructures logistiques développées et des politiques commerciales stables. Ces réseaux permettent de minimiser les coûts de transport et de réduire les risques liés aux interruptions de la chaîne de valeur.

  • Effet d’entraînement technologique : la fragmentation favorise la diffusion des technologies et des connaissances entre les pays. Les entreprises qui participent à ces chaînes de valeur adoptent les meilleures pratiques et les technologies les plus récentes pour rester compétitives.

  • Par exemple, la co-conception de produits entre entreprises japonaises et américaines a permis de développer des innovations technologiques partagées.

Pour résumer, la DIPP permet plusieurs avantages :

  • Gain d'efficacité : la spécialisation permet d'optimiser la production et de réduire les coûts.

  • Accélération de l'innovation : la concurrence entre les entreprises et la diffusion des technologies favorisent l'innovation.

  • Croissance économique : la fragmentation contribue à la croissance économique des pays en participant à la création d'emplois et à l'augmentation des exportations.

Toutefois, la DIPP a aussi son côté obscur…

  • Vulnérabilité : les chaînes de valeur mondiales sont fragiles face aux chocs exogènes (pandémies, conflits, catastrophes naturelles) qui peuvent perturber les approvisionnements.

  • Inégalités : la fragmentation peut accentuer les inégalités entre les pays et même à l'intérieur des pays, en particulier si certains sont davantage intégrés dans les chaînes de valeur que d'autres.

  • Enjeux environnementaux : la fragmentation impacte négativement l'environnement puisqu’elle repose sur une forte mobilisation des transports.

  • Enjeux sociaux : elle entraîne des délocalisations d'emplois vers les pays à faible coût de la main-d'œuvre, ce qui peut entraîner des conséquences sociales et économiques importantes (chômage, donc frein à la consommation, etc.).

Exemple de la filière porcine : aujourd’hui, grâce à de bonnes compétences en génétique, le Danemark s’est spécialisé dans l’élevage de porcs, exportés à l’âge de trois mois dans d’autres pays européens afin d’y être engraissés puis abattus. Quelques conséquences : fermeture des abattoirs danois (perte de 9 000 emplois sur vingt ans), pollution au Danemark et bien sûr pollution atmosphérique due au transport routier, souffrance de millions de porcelets transportés, etc. (source : Politiken du 16/11/24 traduit par Courrier international du 12/12/24).

Face aux problèmes liés à la DIPP, certaines entreprises rapatrient une partie de leur production (reshoring) ou la relocalisent dans des pays proches (nearshoring).

 

DIPP