Petit théorème et nombres de Fermat
Nous sommes en 1640. Corneille triomphe avec Horace. Loin de l’agitation parisienne, à Toulouse, Pierre de Fermat fait part d’un théorème de son cru à l’une de ses connaissances. Précisons que ce magistrat amateur de mathématiques n’a jamais rien publié et c’est seulement dans sa correspondance que l’on prend la mesure de son génie.
Pourquoi parle-t-on d’un « petit » théorème ? Parce que le plus fameux des théorèmes de Fermat fut une sorte de Graal des mathématiciens. Il fallut trois siècles et demi pour qu’il soit démontré. Le petit, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, le fut par Leibniz (Fermat ne démontrait pas ses découvertes).
Ce petit théorème ne semblait pas servir à grand-chose. Quel est l’intérêt pratique à travailler sur les nombres premiers ? Ce n’est qu’en 1977, lorsque fut développé l’algorithme RSA, qu’il montra son utilité pratique, aujourd’hui bien supérieure à celle du « grand » théorème.
Le contenu de cette page est exigible au programme de terminale maths expertes, à l’exception de la petite digression finale sur les nombres de Fermat.
Le théorème
Soit \(n\) un entier naturel et \(p\) un nombre premier.
\(n^p ≡ n[p].\)
Prenons par exemple \(5^3\) (3 est bien un nombre premier). Soit 125.
Si l’on divise 125 par 3, le reste de la division euclidienne est 2 (puisque c’est 123 qui est divisible par 3). Ainsi \(125 ≡ 2[3]\) donc \(125 ≡ 5[3]\) puisque \(2 + 3 = 5.\)
Autre exemple, \(3^5,\) soit 243. Nous savons que 240 est divisible par 5. Donc si l’on divise 243 par 5, le reste est 3. Nous vérifions bien que \(3^5 ≡ 3[5].\)
Le corollaire est que si \(p\) ne divise pas \(n,\) alors \(n^{p-1} ≡ 1 [p]\) ou encore \(n^{p-1} - 1 ≡ 0[p].\)
Démonstration
Démontrons cette propriété par récurrence.
Soit la propriété \(P(n)\) : \(n^p ≡ n[p].\) Supposons que \(P(n)\) est vraie.
Initialisation : si \(n = 0\) alors \(n^p = 0\) donc \(n^0 ≡ 0[p].\) Ainsi \(P(0)\) est vraie.
Récurrence : nous avons supposé vraie \(P(n).\) Montrons que \(P(n+1)\) est vraie aussi. En d’autres termes, nous devons démontrer que \((n + 1)^p\) est congru à \(n + 1 [p].\)
Commençons par rappeler la formule du binôme :
\({(n + 1)^p}\) \(=\) \(1 + \left( {\begin{array}{*{20}{c}}
p\\
1
\end{array}} \right)n + ... + \left( {\begin{array}{*{20}{c}}
p\\
{p - 1}
\end{array}} \right){n^{p - 1}} + {n^p}\)
Soit un entier \(k\) tel que \(1 \leqslant k \leqslant p - 1.\)
Rappelons la formule du coefficient binomial : \(\left( {\begin{array}{*{20}{c}} p\\ k \end{array}} \right) = \frac{p!}{k!(p-k)!}\)
Donc \(k \left( {\begin{array}{*{20}{c}} p\\ k \end{array}} \right) = \frac{k × p !}{k !(p - k) !}\)
\(⇔ k \left( {\begin{array}{*{20}{c}} p\\ k \end{array}} \right) = \frac{p !}{(k - 1)!(p - k) !}.\)
\(⇔ k \left( {\begin{array}{*{20}{c}} p\\ k \end{array}} \right) = p \frac{(p - 1) !}{(k - 1) ! (p - k) !}\)
Remarquez que l’on peut écrire \(p - k = (p - 1) - (k - 1).\)
Donc \(k \left( {\begin{array}{*{20}{c}} p\\ k \end{array}} \right) = p \frac{(p - 1) !}{(k - 1) ! [(p-1) - (k-1)] !}\)
Expression que l'on peut écrire \(p\left( {\begin{array}{*{20}{c}} p - 1\\ k - 1 \end{array}} \right).\)
Il est évident que \(p| p\left( {\begin{array}{*{20}{c}} p - 1\\ k - 1 \end{array}} \right)\) mais nous pouvons désormais écrire \(p| k \left( {\begin{array}{*{20}{c}} p\\ k \end{array}} \right).\)
Comme \(k < p\) et que \(p\) est un nombre premier, \(k\) et \(p\) sont premiers entre eux. Et c’est là qu’intervient le théorème de Gauss.
Rappel : si \(a\) divise \(bc\) et si \(a\) et \(b\) sont premiers entre eux, alors \(a\) divise \(c.\)
Il est donc clair que \(p| \left( {\begin{array}{*{20}{c}} p\\ k \end{array}} \right).\)
Ainsi, \(\left( {\begin{array}{*{20}{c}} p\\ k \end{array}} \right) ≡ 0[p].\)
Il s’ensuit que tous les coefficients du binôme sauf le premier (1) sont des multiples de \(p.\) Quant au dernier, \(n^p,\) il est par hypothèse congru à \(n[p].\) Par conséquent :
\((n + 1)^p ≡ 1 + n \; [p]\)
\(⇔ (n + 1)^p ≡ n + 1 \; [p]\)
Par récurrence, nous avons montré que \(n^p ≡ n[p]\)
Si \(p\) ne divise pas \(n\) alors, comme \(n^p ≡ n[p],\) on peut écrire en toute logique \(n^p - n ≡ 0[p].\) Si l’on factorise cette expression par \(n\) on obtient :
\(n(n^{p-1} - 1) ≡ 0[p]\)
\(n\) et \(p\) étant premiers entre eux, nous pouvons affirmer que \(p|n^{p-1} - 1\) grâce au théorème de Gauss.
On écrit aussi \(n^{p-1} ≡ 1 [p]\) ou \(n^{p-1} - 1 ≡ 0[p].\)
Illustration
Soit \(n = 2\) et \(p = 5.\)
Nous avons bien \(2^5 = 32 = 2[5].\)
Et avec la formule utilisée pour la récurrence…
\((2+1)^5\) \(=\) \(1 + \left( {\begin{array}{*{20}{c}} 5\\ 1 \end{array}} \right) × 2 + \left( {\begin{array}{*{20}{c}} 5\\ 2 \end{array}} \right) × 2^2 + \left( {\begin{array}{*{20}{c}} 5\\ 3 \end{array}} \right) × 2^3 + \left( {\begin{array}{*{20}{c}} 5\\ 4 \end{array}} \right) × 2^4 + 2^5\)
\(⇔ (2 + 1)^5\) \(=\) \(1 + 5 × 2 + 10 × 4 + 10 × 8 + 5 × 16 + 32\)
\(⇔ 3^5 = 243\)
Nombres de Fermat
Puisque nous en sommes aux découvertes arithmétiques de Fermat, mentionnons les nombres de Fermat. Il s’agit de la suite \((F_n)\) d’entiers s’écrivant \(2^{2^n} + 1\) avec \(n ∈ \mathbb{N}.\)
Les cinq premiers termes de cette suite sont des nombres premiers. Fermat pensait qu’ils l’étaient tous mais non ! Ci-dessous, les premiers nombres de Fermat obtenus avec Excel.