Vote : historique, définition, analyse
La sociologie électorale n’est pas un domaine que ce site web développe beaucoup, c’est un euphémisme. Mais le vote fait partie du programme de SES de première générale. D’où cette page qui apporte une ressource sur le sujet. Seul le vote politique est abordé. Elle exclut donc les scrutins internes aux entreprises (par exemple les élections des mandataires sociaux ou des administrateurs).
Précisons que le programme de première introduit ce thème par la question « voter : une affaire individuelle ou collective ? » et c’est dans l’esprit de cette problématique que cette page a été rédigée.
Deux objets de vote
Il est impossible de dater le premier vote de l’Histoire (ou de la préhistoire) mais on connaît bien les mœurs de l’Antiquité grecque et plus précisément athénienne. Qui votait ? ni les femmes, ni les esclaves, ni les métèques (en gros, les Grecs non Athéniens), ni les barbares (étrangers). Restent les citoyens, réunis en assemblée, l’ecclésia. Les votes permettaient soit d’élire des représentants du peuple (les magistrats), soit d’établir directement les lois.
Aujourd’hui, la distinction existe toujours. La plupart des scrutins visent à élire des représentants qui, hormis le président de la Réublique, voteront des lois, des résolutions ou des arrêtés, mais certains ont pour objet de modifier directement la loi. Ce sont les référendums. La Suisse en est la championne mondiale mais elle donne à ce terme un sens plus restreint : une votation est un vote souhaité par une part significative des électeurs tandis qu’un référendum est l’acceptation ou le refus par les citoyens d’une décision déjà votée par le Parlement. Par exemple, le 25 septembre 2022, les Suisses refusaient par votation l’interdiction de l’élevage intensif. Le même jour, les Cubains entérinaient le mariage homosexuel par référendum (au sens suisse du terme !).
Les mesures
Entrons dans la technique et explicitons quelques pourcentages.
Le taux d’inscription sur les listes électorales : pour voter, il faut être inscrit sur les listes électorales. Simple formalité à accomplir en mairie lors de sa majorité puis à chaque déménagement, du moins si l’on préfère voter sur son lieu d’habitation (un choix qui n’a d’ailleurs rien de systématique).
Ce taux est donc le nombre d’inscrits par rapport au nombre de personnes en droit de voter.
L’abstention est le fait de ne pas participer à un scrutin. Elle est différente du vote blanc, qui est le dépôt dans l’urne d’une enveloppe vide ou d’un bulletin sans nom, ou du vote nul, c’est-à-dire le dépôt d’un bulletin non valable (raturé, par exemple). En effet, ces deux types de vote traduisent une volonté d’expression, contrairement à l’abstention.
Le taux d’abstention est le nombre d’abstentionnistes rapporté au nombre d’inscrits. Le taux de participation est le nombre de votants, y compris blancs et nuls, par rapport au nombre d’inscrits.
Structurellement, l’abstention progresse inexorablement (voir l’individualisme). C'est sans doute un marqueur de l'affaiblissement des liens sociaux. En s’ajoutant aux votes blancs et nuls (mais sans compter les non-inscrits qui ne sont pas comptabilisés), on obtient des résultats qui laissent songeur. Ainsi au second tour des présidentielles de 2022, Emmanuel Macron a été élu avec un large score de \(58,6\%\) des suffrages exprimés mais seulement \(38,5\%\) des électeurs inscrits.
Vote et société
Qui vote ? La réponse en dit long sur la société. Nous avons brièvement évoqué l’Antiquité grecque. Faisons un grand bond dans le temps pour atterrir en pleine Révolution française.
Le suffrage censitaire apparaît en 1791. Seuls peuvent voter les hommes de plus de vingt-cinq payant le cens (un impôt). Le suffrage est indirect : les « citoyens actifs » élisent d’autres électeurs, plus riches, qui élisent les députés. On constate que la Révolution a surtout profité aux plus fortunés. 1791 est aussi l’année de la loi Le Chapelier qui rend les syndicats illégaux.
En 1795, la participation à une campagne militaire peut remplacer le paiement de l’impôt. On reconnaît les priorités de l’époque !
En 1799, un nouveau système est adopté. Il est basé sur la confiance. Le suffrage est universel indirect. Les préoccupations du premier Consul Napoléon Bonaparte ne sont pas de favoriser une bourgeoisie naissante mais de s’appuyer sur une nation unie au service de ses ambitions (ci-dessous, buste de Bonaparte, Manufacture de Sèvres. Image libre de droits).
En 1815 s’ouvre la période de la Restauration. Retour au suffrage censitaire. Rien de tel pour que les plus fortunés détiennent le pouvoir.
En 1848 le vote redevient universel et masculin mais il est à présent secret. Le peuple commence à s’émanciper.
En 1903 apparaît en Grande-Bretagne le mouvement des suffragettes. Des militantes réclament le droit de vote pour les femmes, déjà pratiqué en Australie et en Nouvelle-Zélande. Petit à petit, la plupart des pays reconnaissent ce droit. En France, il faut attendre 1944 (les militaires devront patienter quelques mois de plus !) et en Arabie saoudite 2011.
Les comportements
Les comportements électoraux diffèrent selon les milieux sociaux, la religion, le niveau d’études, la zone géographique, le patrimoine, l’âge, etc. Par exemple, les classes populaires s’abstiennent davantage que les CSP+, ce qui trahit peut-être le sentiment de ne pas être compétent. Il en est de même des plus jeunes électeurs et des plus âgés.
Les comportements fluctuants concernent aussi la mobilité électorale. Celle-ci est le fait pour un électeur de ne pas toujours voter pour le même parti. Elle permet l’alternance politique.
D’une façon générale, les électeurs sont de moins en moins fidèles. Au vingtième siècle l’orientation politique était d’une telle stabilité que la plupart des électeurs votaient toute leur vie pour le même parti et leurs enfants avec. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les scores du parti socialiste au premier tour des présidentielles : \(28,6\%\) en 2012 et \(1,7\%\) dix ans plus tard.
Le comportement électoral est donc un élément prédictif de l’intégration sociale. Pour nous situer dans notre problématique de départ, on peut estimer que le vote est en partie une affaire collective. Un électeur qui vote à contre-courant de son groupe social peut être considéré, toutes choses égales par ailleurs, comme moins bien intégré qu’un électeur qui se trouve dans la norme.
Heureusement, le vote est aussi une affaire individuelle ! La plupart des partis ne proposent plus aux électeurs des projets très différents les uns des autres. Un peu comme s’il subsistait, entre les extrêmes, un grand parti social-démocrate avec quelques courants… Le choix s’exerce donc sur la personnalité du leader. Et un vote sur une personnalité relève d’une décision individuelle.
Le choix d’une personnalité n’est pas nouveau. Aux élections européennes de 1994, le très médiatique Bernard Tapie conduisit la liste des Radicaux de gauche. Ce parti, qui pesait généralement moins de \(1\%\) des sondages, dépassa alors les \(12\%.\)
Mais c’est surtout au début de notre siècle que le phénomène a pris de l’ampleur. Il est d’ailleurs illustré par la chute du parti socialiste que nous avons évoquée. C’est aussi l’une des manifestations du développement de l’individualisme.